Pollens grillés,
fleurs séchées, nectar évaporé:
pour les abeilles butinant la lavande dans le sud de la
France, l'été 2006 marqué par
sécheresse et canicule, est synonyme de disette et
pour leurs apiculteurs, de catastrophe.
"Cette année, en raison des
conditions climatiques, la récolte de miel de lavande
et lavandin sera la plus catastrophique que nous ayons
jamais connu dans la région Paca", constate Bernard
Oza, apiculteur et président de la coopérative
Agricole Provence Miel, implantée à la Roque
d'Anthéron (Bouches-du-Rhône). "Elle sera
même plus mauvaise que celle de 2003 qui avait
été particulièrement noire pour les
4.000 apiculteurs du sud de la France", ajoute-t-il. "Cette
année, ma récolte de miel atteindra 600 kilos
contre 6 tonnes pour une année passable et plus de 10
tonnes pour une bonne année. Il n'est donc pas
question d'exporter un gramme de notre miel, prisé
par les Allemands et les Belges", déplore M.Oza. Les
autres apiculteurs de la coopérative -10% de la
production de la région
Provence-Alpes-Côte-d'Azur- sont dans la même
situation: en 2002, ils avaient récolté 160
tonnes de miel, un an plus tard 50 t et, en 2006, elle
devrait difficilement atteindre les 35 t.
Après trois ans d'une
sécheresse sévère, l'été
2006, sans aucune goutte de de pluie, a porté le coup
de grâce à la culture de la lavande. "Il n'y
avait plus de lavande sur pied le 10 juillet. Ils
étaient tous grillés. Les abeilles n'ont eu de
que deux ou trois jours pour butiner un maigre nectar contre
trois semaines en temps normal", explique M. Oza. Pour le
miel "Toutes fleurs de Provence" bénéficiant
d'une IGP (indication géographique
protégée), la situation n'est guère
plus brillante, avec une récolte divisée par
deux: 50 tonnes contre 100 normalement. Même si la
quasi-totalité de la France a été
confrontée en juillet à la canicule, certaines
régions productrices vont tirer leur épingle
du jeu. Depuis deux à trois ans la récolte
d'acacia est bonne, notamment dans le Gâtinais
réputé pour ce miel, note Jacques Goût
qui anime le musée de l'apiculture, à
Châteaurenard dans le Loiret. La récolte de
tilleul, spécialité du nord de la France,
s'annonce également "honorable".
Pour le tournesol --40% de la production
globale de miel en France-- la situation est
contrastée. "Elle est bonne dans le Sud-Ouest mais
s'annonce plutôt faible dans l'Ouest (Charente et
Deux-Sèvres). "Quant au colza, la miellée est
mauvaise", annonce Bernard Saubot, responsable de la maison
Bernard Michaud, premier conditionneur de miel en France.
Sécheresse ou non, la production de miel ne cesse de
diminuer en France, un des principaux pays producteurs
européens avec l'Espagne et l'Italie, la
récolte étant passée de 32.000 tonnes
en 1995 à 25.500 tonnes en 2004, selon un audit
réalisé par l'Oniflhor.
La mortalité des abeilles
imputée au Gaucho, insecticide pour le maïs et
le tournesol, expliquerait l'hécatombe, selon des
apiculteurs. "Mais dans les régions où ces
plantes ne sont pas cultivées, les abeilles meurent
également", constate M. Goût. "Pour l'instant,
la situation semble s'être stabilisée dans les
ruches", ajoute néanmoins ce professionnel. En 2004,
la France comptait de 1,35 million de ruches, chiffre stable
sur dix, et 69.230 apiculteurs contre plus de 84.000 dix ans
plus tôt, selon l'Oniflhor. Pour satisfaire la
consommation français annuelle, de l'ordre de 40.000
tonnes, la France importe du miel d'Espagne, de Hongrie, du
Mexique, d'Argentine et du Canada (pour le trèfle),
dont une partie est conditionnée et
réexportée vers une quarantaine de
pays.
Malgré l'interdiction
du Régent et du Gaucho, les populations d'abeilles
ont diminué
LE MONDE | 29.08.06 | 15h16 • Mis
à jour le 29.08.06 | 15h16
Une fois encore, la récolte de
miel sera maigre. La sécheresse qui a touché
une grande partie de la France, en juillet, et s'est a
continué dans le Sud et sur la façade
atlantique est en cause. Les fleurs, privées d'eau et
grillées par le soleil, n'ont pas produit assez de
nectar et de pollen pour rassasier les abeilles.
Chiffres
Ruches. On en dénombre plus d'un
million en France. L'apiculture est pratiquée par de
nombreux amateurs et petits producteurs. Il existe 70 000
apiculteurs, dont 92 % possèdent moins de 30 ruches.
L'éclatement de la profession rend difficile
l'obtention de chiffres fiables sur la production de miel ou
les mortalités d'abeilles.
Production. En 2004,
de 20 000 à 30 000 t ont été produites
en France. Mais 12 000 t de miel de Chine, de Hongrie,
d'Allemagne et des pays d'Amérique latine ont
été importées. 50 % de la production
est commercialisée dans les marchés ou par
vente directe.
Les récoltes de
miel de lavande, de sapin et de châtaignier sont
particulièrement minces. Pour les miels de tournesol
et de colza, la situation varie en fonction des apports en
eau sur les champs. Selon France Miel, l'unique
coopérative nationale, qui commercialise environ 15 %
de la production, "2006 est une petite année parmi
les petites années". La production
commercialisée par l'entreprise devrait atteindre 1
300 tonnes, contre 1 400 tonnes écoulées
chaque année depuis cinq ans. Et 1 800 tonnes
auparavant.
Le regain attendu par les apiculteurs
depuis la suspension de l'usage des pesticides Gaucho et
Régent, accusés de décimer les
abeilles, n'est donc pas au rendez-vous. L'usage du Gaucho
est suspendu depuis 1999 sur le tournesol et depuis 2004 sur
le maïs, et celui du Régent depuis 2004 sur
toutes les cultures.
Les mortalités d'abeilles
observées pendant les deux derniers hivers confirment
la persistance de difficultés. Des mortalités
"importantes", soit jusqu'à 70 % des populations
perdues localement, ont été signalées
à la fin de l'hiver à Michel Béraud,
président du Syndicat des producteurs de miel de
France (SPMF).
Du côté de l'Union nationale
des apiculteurs de France (UNAF), fer de lance du combat
contre les pesticides, Henri Clément avance une
évaluation de "20 % à 25 % de pertes cet
hiver, contre 5 % à 8 % une année normale, et
30 % à 40 % avant la suspension du Gaucho et du
Régent".
Selon M. Clément, ces
mortalités surviennent dans des régions
où elles n'avaient pas été
observées auparavant. Pour le syndicaliste, le
retrait des deux produits a donc des conséquences
positives. Mais elles sont contrebalancées par des
difficultés liées aux aléas
climatiques. Les sécheresses à
répétition affectent la vitalité des
colonies, selon M. Clément. La rudesse de l'hiver
2005-2006 est aussi tenue pour responsable de
mortalités. "Nous avons eu quarante jours de
gelées consécutives, explique Jean-Michel
Lebrun, responsable des relations avec les adhérents
chez France Miel. Quand les abeilles ne peuvent pas sortir
trop longtemps à cause du froid, elles
développent des maladies dans la ruche. Le Gaucho et
le Régent n'ont jamais été les seuls
problèmes de l'apiculture, et nous connaissons
aujourd'hui davantage de problèmes climatiques que la
moyenne."
De multiples causes peuvent en effet
expliquer les mortalités. L'appauvrissement de la
biodiversité joue un rôle majeur. " Les
surfaces de prairies à base de légumineuses
ont été divisées par cinq depuis 1970,
explique Philippe Lecompte, apiculteur et fondateur du
réseau Jachères apicoles. Les fleurs ne sont
donc pas forcément présentes dans
l'environnement quand les abeilles en ont besoin." Moins de
fleurs des champs, moins de bordures de forêts ou de
routes, moins de haies...
Cet "appauvrissement massif des
ressources", conséquence de l'intensification
agricole mais aussi de la politique des directions
départementales de l'équipement qui
désherbent les bords des routes, entraîne une
réduction de l'espérance de vie, et facilite
le développement de pathologies.
L'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments (Afssa) met en
relief le rôle d'un autre facteur dans une note
baptisée "Recherches sur les mortalités
d'abeilles et prévention des risques liés aux
insecticides". Il s'agit du varroa, un parasite, "un tueur
encore trop sous-estimé en France". Présent
depuis les années 1980, "il continue à faire
des siennes, et sa présence n'est pas
forcément repérable immédiatement par
les apiculteurs", relève Michel Aubert, directeur du
laboratoire sur la pathologie des petits ruminants et des
abeilles de l'Afssa.
Depuis 2003, l'agence mène, sur 25
ruches dispersées dans cinq départements, une
étude multifactorielle sur les mortalités
d'abeilles dont les conclusions, très attendues,
doivent prochainement être rendues publiques. "Nous
n'avons constaté aucun effondrement de colonies dans
les ruchers suivis, note M. Aubert, qui précise que
les chercheurs de l'Afssa ont conseillé les
apiculteurs en matière sanitaire.
Dans leur récente note,
l'équipe de l'Afssa écrivait : "En
matière de Gaucho, nous nous trouvons dans une zone
incertaine, mais malgré la forte toxicité du
produit et de ses dérivés pour les abeilles
(...) un impact néfaste de ce produit sur le terrain
en condition normale d'utilisation n'est pas
confirmé."
Néanmoins, pour les chercheurs,
"il importe, au-delà du cas particulier du Gaucho, de
nous situer dans le contexte plus général du
déclin, constant depuis des années, des
populations d'insectes". Ils appellent à "une
utilisation beaucoup plus économe" des pesticides.
Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du
30.08.06