BASF Agro, qui fabrique cet
insecticide, a été mise en examen et
placée sous contrôle judiciaire, mardi 17
février, par un magistrat de Saint-Gaudens. Ce
produit, très utilisé par les agriculteurs,
est soupçonné de décimer les ruchers
et, selon des études récentes, comporterait
des risques pour l'homme.
La société BASF Agro et son
président, Emmanuel Butstraen, ont été
mis en examen, mardi 17 janvier, par le juge Jean Guary, qui
enquête à Saint-Gaudens (Haute-Garonne) sur les
causes d'une surmortalité survenue dans des ruchers
du Sud-Ouest de la France, au printemps 2002.
Le magistrat a de surcroît
ordonné la suspension de la commercialisation du
Régent, un enrobage insecticide
soupçonné d'avoir des effets mortels sur les
abeilles.
La firme chimique allemande a
annoncé elle-même sa mise en examen, même
si le parquet de Saint-Gaudens se refuse au moindre
commentaire. Elle a cependant été mise en
examen, en tant que personne morale, pour "mise en vente de
produit toxique nuisible à la santé de l'homme
et de l'animal", "complicité de destruction de
cheptel", "mise sur le marché de produit sans
autorisation". Le juge a placé la
société sous contrôle judiciaire et a
ordonné une mesure conservatoire d'interdiction de
commercialiser le Régent. BASF a aussitôt fait
appel de ces mesures.
La sévère mise en examen de
BASF Agro est une nouvelle étape du combat que
mènent depuis dix ans les apiculteurs contre les
fabricants de pesticides. Constatant des intoxications
massives depuis 1994 dans les colonies, les producteurs de
miel accusent notamment le Gaucho, fabriqué par
Bayer, une autre société allemande, et le
Régent, propriété de BASF, deux marques
d'enrobages de semences commercialisées
respectivement depuis 1991 et 1996.
Mises dans le sol lors des semis, les
molécules actives, l'imidaclopride pour le Gaucho et
le fipronil pour le Régent, libèrent leurs
principes actifs au fur et à mesure de la croissance
de la plante et la protègent des assauts des
insectes. Ces substances extrêmement
concentrées sont censées avoir disparu au
moment de la floraison.
Plusieurs études, sur lesquelles
s'appuient les apiculteurs, affirment cependant que les
molécules se retrouvent encore dans la fleur,
notamment de tournesol, que viennent butiner les abeilles.
Ingérées par les insectes, elles provoquent
des mortalités massives et des troubles graves qui
désorganisent les ruchers. Les fabricants fournissent
d'autres études qui attestent à l'inverse de
l'innocuité de leurs produits, sur la base de travaux
comparatifs entre des zones avec et sans Gaucho ou
Régent.
L'instruction du juge Guary, au
départ anodine, avait débuté au
printemps 2002 sur le motif de "destruction d'un bien
appartenant à autrui", après la plainte des
apiculteurs de Haute-Garonne et du Gers victimes du
préjudice. Un premier volet avait abouti à la
mise en examen d'acteurs locaux, soupçonnés de
mauvaises pratiques agricoles. Mais, au printemps 2003, elle
a pris un tour différent quand le juge a eu
accès à des analyses du Groupement
interrégional de recherche sur les produits
pharmaceutiques d'Angers (Maine-et-Loire), effectuées
sur les abeilles mortes un an auparavant. Elles concluaient
à "des intoxications aiguës" dues au
fipronil.
Depuis, les investigations se sont
réorientées sur les effets de cette
molécule et, réquisitoire supplétif
après réquisitoire supplétif, les chefs
de poursuite se sont enrichis : "Mise en vente de produits
agricoles toxiques nuisibles à la santé de
l'homme et de l'animal", "tromperie sur l'origine ou la
qualité substantielle de marchandises", "mise sur le
marché de produits ne bénéficiant pas
d'autorisation de mise sur le marché", "violation de
dispositions du code de la santé publique",
"obtention de l'Etat d'avantages indus, par fourniture de
renseignements inexacts ou incomplets".
EXPERTISES
CONTRADICTOIRES
La querelle scientifique a, de son
côté, pris un tour plus polémique encore
avec l'apparition, depuis quelques mois, d'études qui
évoquent un risque pour l'homme. Les molécules
des enrobages, assurent des chercheurs, se retrouvent dans
les ensilages qu'avale le bétail. Elles s'accumulent
dans la graisse et le lait, contaminant ainsi la
chaîne alimentaire.
Un chercheur au CNRS, Gérard
Arnold, a rendu, le 17 décembre 2003, une expertise
qui fait état de la présence du fipronil dans
l'air, tuant les abeilles et présentant un risque
pour l'homme. Oramip, l'association régionale de
surveillance de l'air de Midi-Pyrénées, a
effectué des prélèvements dans l'air au
moment des semis, en avril 2003, qui confirment la
présence de la molécule.
Le rapport remis en janvier au juge Guary
par Jean-François Narbonne, professeur à
l'université de Bordeaux et expert en
sécurité alimentaire, estime que le produit a
fait, jusqu'en 2003, l'objet d'un classement en
deçà de sa toxicité réelle. Il
estime que, "dès 1994, les calculs d'exposition
alimentaire montraient la possibilité de
dépassement de la dose journalière admise, en
particulier chez l'enfant". Il ajoute que "le
ministère de la santé aurait dû
être alerté". Dominique Belpomme,
cancérologue, entendu par le juge fin janvier, a
aussi mis en garde contre les risques et critiqué
l'insuffisance des études avant la mise sur le
marché.
Autant d'hypothèses formellement
rejetées par BASF. Le ministère de
l'agriculture est également catégorique. "Il
n'y a aucune dangerosité pour la santé humaine
via l'exposition directe ou par la consommation de produits
végétaux ou animaux", a assuré Thierry
Klinger, à la tête de la direction
générale de l'alimentation.
Des perquisitions, menées aux
sièges de BASF et de Bayer - qui a été
propriétaire entre juin 2002 et mars 2003 du fipronil
- ainsi qu'à la direction générale de
l'alimentation, ont soulevé des questions sur la
procédure d'homologation du produit de BASF. Le
Régent n'aurait bénéficié,
depuis sa commercialisation en 1996, que d'une autorisation
provisoire de vente, sans cesse renouvelée, quand il
aurait dû disposer d'une autorisation de mise sur le
marché, impliquant une procédure plus
rigoureuse. Des documents trouvés chez les
propriétaires successifs du produit -
Rhône-Poulenc, Aventis, Bayer, BASF - indiquaient que
cette autorisation provisoire de vente n'était
délivrée qu'"en l'attente de l'avis
définitif nécessaire de la commission
d'étude de la toxicité". Durant huit ans, le
produit a donc été commercialisé alors
que la procédure d'homologation était encore
en cours.
Début décembre 2003, le
juge a entendu Thierry Klinger ainsi que ses
prédécesseurs. Il les a interrogés sur
cette anomalie. Egalement entendu, un autre responsable de
la direction générale de l'alimentation a
admis des "lacunes" dans les procédures. La firme
Bayer devrait à son tour être entendue par le
juge le 23 février.
Benoît
Hopquin
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M. Gaymard hésitait à
demander le retrait
Le ministère de l'agriculture a
indiqué, la semaine dernière, qu'Hervé
Gaymard examinait "les modalités de retrait, de
suspension ou de restriction d'usage des
spécialités à usage agricole du
fipronil". Il s'agit en premier lieu du Régent mais
également d'autres insecticides contenant cette
molécule. Un avis de la Commission d'étude de
la toxicité des produits phytosanitaires (Comtox),
commandé par le ministre et rendu le 29 janvier,
propose "la non-inscription du fipronil à l'annexe 1
(substances autorisées) de la directive 91/414/CE,
compte tenu de préoccupations majeures pour
l'environnement et les espèces sauvages". A la suite
de cet avis, M. Gaymard a "mis en demeure"BASF, qui exploite
le fipronil, de défendre son point de vue, ce qui a
été fait lundi 16 février. Le
ministère se donne quelques jours pour prendre sa
décision. Mais les enrobages de semences de la
prochaine campagne sont déjà en partie
commandés.
SOURCE: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-353552,0.html
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